LA PAPESSE
Interprétation
1. Tout confère à la passivité dans la Papesse, second arcane du Tarot : l'aspect féminin ainsi que la position assise qui place la Papesse en spectateur, en observateur et non pas en être actif et agissant. L'immobilité physique est encore manifestée par les pieds recouverts.
2. Sa robe rouge exprime la force et l'énergie vitales qui sont en elle et qui sont maintenues cachées, occultées ou préservées par l'effet de sa cape bleue. Sa réceptivité et sa spiritualité (bleu) jouent le rôle de conteneur pour ses passions existantes mais latentes (rouge).
3. La croix accentue l'inhibition des instincts et du désir permettant seule la réflexion. Dans une perspective philosophique, la passion s'oppose à la raison. Autre détail troublant est la croix jaune barrant obliquement la robe de la Papesse : la barre la plus longue, est de la même longueur que la baguette du Bateleur et placée dans la même direction.
Celle du Bateleur indiquait la sphère, celle de la Papesse touche le livre. Les énergies canalisées par le Bateleur étaient dirigées vers l'extérieur, celles de la Papesse, à même son corps, le sont vers l'intérieur. Si on calquait sur une même feuille la baguette du Bateleur, puis cette barre de la Papesse, on constaterait alors qu'elles sont dans le prolongement l'une de l'autre avec un vide intermédiaire de la même longueur. Sans doute, cette continuité prouve-t-elle que le Bateleur et la Papesse constituent un ensemble, présentant deux attitudes différentes mais complémentaires.
4. Les draperies (couleur chair) qui sont disposées tout autour de sa tête lui voilent la vue et empêchent ainsi l'accès à d'autres horizons. Elles ressemblent à des œillères la protégeant des tentations que pourraient représenter les sollicitations et distractions extérieures.
5. Sa tiare, richement décorée, prouve son appartenance à une fonction religieuse élevée. Elle correspond à la tiare pontificale, construite sur trois étages représentant respectivement les plans physique, psychique et spirituel ou encore les Enfers, la Terre et le Ciel.
6. Toute la richesse de l'arcane II réside dans cette exception aux règles : le dépassement du cadre et donc des limites fixées. Car si la Papesse paraît à première vue enfermée, sclérosée dans un environnement austère, on s'aperçoit secondairement que c'est sans aucune doute pourtant, de tous les personnages du Tarot, le plus libre. Elle témoigne ainsi de la suprématie de l'Esprit sur le Corps, de la supériorité du mental sur la matière, dans le bannissement des limites physiques et extérieures. Elle agit mentalement sur la matière que constitue le cadre de la carte.
Il arrive fréquemment, dans le Tarot, que des têtes, des casques ou des chapeaux touchent le bord supérieur de la carte. Cette particularité prend généralement sens comme une élévation intellectuelle ou spirituelle. Cependant dans tous les cas, sauf dans l'arcane XXI, le cadre déterminé est respecté et, à cet effet, on sectionne une partie des cheveux, du casque ou du chapeau. Or, dans l'arcane II, la Papesse déborde du cadre établi. Outre le fait que cette exception évoque la grande force mentale du personnage, si les auteurs du Tarot avaient choisi de se conformer à l'usage habituel en coupant une partie de la tiare, c'est le troisième étage qui aurait alors disparu. La Papesse aurait ainsi perdu sa dimension spirituelle ou céleste. Ceci n'est pas le cas, loin de là. L'arcane II procède donc d'une libération totale de l'être qui est élévation verticale (issue vers le haut) et non pas développement horizontal (enfermement par le dais couleur chair et la cape bleue).
7. Le Livre fait référence au travail intellectuel, à l'apprentissage. La Papesse le touche et établit ainsi avec l'objet un contact charnel. Par contre, elle ne le regarde pas. La relation qui s'établit entre elle et le livre est plus une relation physique qu'intellectuelle. Elle est dans l'assimilation, dans la méditation, dans l'expérimentation bien plus que dans la froide lecture, la théorie purement abstraite. Elle est dans la Connaissance plus que dans le savoir.
8. Le livre a un rôle actif et lui transmet bien un message puisqu'il est ouvert ; mais un message qui se pense plus qu'il ne s'apprend. Un livre fermé signifie la matière vierge. Est-il ouvert, la matière est fécondée. Fermé, le livre conserve son secret. Ouvert, le contenu est saisi par celui qui le scrute. Il y a donc bien échange, communication entre l'objet et le sujet. Le livre d'ailleurs ici est un émetteur et la Papesse un récepteur. Celui qui détient le pouvoir actif, celui qui agit en fait est bien le livre ; la Papesse, elle, réagit, reçoit, prend en soi. Le fait qu'il soit couleur chair indique que l'étude porte sur l'être humain, sur l'humanité toute entière, sur l'histoire universelle et sur les leçons à méditer, que les expériences heureuses ou malheureuses des hommes, dispensent.
Le Nom
C'est: "La Papesse" Définition du Larousse: "Femme pape", selon une légende.
En effet, la tradition populaire veut qu'une femme ait occupé le siège de Saint Pierre sous le nom de Jean VIII. Cependant, il s'agit à priori d'un terme fictif et mythique car, tout du moins aux yeux de l'Eglise, l'existence d'une Papesse ne peut être que le fruit d'une légende. D'une certaine manière, cette appellation révèle l'aspect anti-conformiste du Tarot. Comme le souligne Oswald Wirth: "Les imagiers du Moyen Age ne s'étaient fait aucun scrupule de représenter une papesse, en dépit de l'orthodoxie. A Besançon, il fut jugé opportun de substituer plus tard Jupiter et Junon au Pape et à la Papesse du Tarot".
Il ne faut pas oublier à ce sujet que le Tarot sert la transmission d'un message initiatique. Cette dimension ésotérique, pour échapper aux éventuelles déformations et censures des pouvoirs en place tant politiques que religieux, se voit obligée de s'exprimer sous une forme cryptée.
En ce sens, le nom de l'arcane II signifie que la femme au même titre que l'homme peut prétendre à de hautes fonctions spirituelles. Il confère à cet arcane un caractère religieux et au personnage un réel pouvoir puisqu'il incarne, par son titre, l'autorité absolue. Egalement, dans la perspective du Tarot, et nous sommes là encore dans le plus total anti-conformisme, la Papesse forme un couple avec le Pape. En effet, les deux couples des arcanes majeurs ont pour spécificité que leur union soit égale à sept:
-Arcane II ( Papesse ) + arcane V ( Pape ) = VII
-Arcane III ( Impératrice ) + arcane IV ( Empereur ) = VII
Toutefois, le lien qui unit la Papesse au Pape est de nature spirituelle et symbolique puisque ces deux lames, donc ces deux personnages, sont séparés dans le jeu. Entre la Papesse et le Pape, nous avons l'Impératrice et l'Empereur, qui eux, par contre, sont côte à côte, incarnant ainsi le couple physique et réel.
Sens initiatique
La Papesse symbolise principalement la voie passive contrairement au Bateleur qui lui symbolise la voie active. Le Bateleur correspond au monde manifesté et extérieur, et la Papesse, au monde non manifesté et intérieur. Ces deux arcanes permettent de bien comprendre ce que l'on signifie par les termes : actif et passif. Le Bateleur agit physiquement. La Papesse agit mentalement. Elle est manifestement passive. Cependant, si ce qu'elle fait est invisible, ce n'est pas pour autant qu'elle ne fait rien. Si un être (tel le Bateleur) prend un objet et le déplace, on dira qu'il agit ou qu'il a exercé une action physique sur un objet. Si un être (telle la Papesse) pense, on ne verra pas le fruit de son activité et on pourra ainsi croire à tort qu'il n'agit pas ou qu'il ne se passe rien. C'est là ce que l'on appelle passivité, qui n'est pas en fait absence d'action mais activité d'un autre ordre, activité intérieure.
La Papesse montre avec évidence que si l'on peut agir avec ses mains, c'est-à-dire avec son corps, sur la matière (comme le fait le Bateleur), on peut de la même façon agir avec sa tête, c'est à dire avec son esprit, sur la matière. Elle souligne d'ailleurs que l'action mentale peut briser, anéantir les limites et qu'en cela elle a plus de force, plus d'énergie que l'action physique. Son apparente fermeture symbolise le sentiment que tout être humain peut nourrir lorsqu'il ne peut pas agir (avec ses mains) sur une situation : il se sent impuissant, passif. Et pourtant, lorsque notre corps est entravé, notre mental demeure puissant et libre. Si l'évolution ne peut s'accomplir sur le même plan (latéralement), elle peut se réaliser dans une autre dimension, par l'élévation, la sublimation, le dépassement (verticalement).
Sens psychologique
Sur un plan psychologique, l'arcane II met en évidence la phase d'apprentissage et s'inscrit dans la continuité de l'activité du Bateleur. Ces deux lames constituent les deux piliers, sur lesquels s'étayent le développement et la croissance de l'homme. L'équilibre véritable intervient dans la réalisation du corps (Bateleur) et de l'esprit (Papesse). La Papesse, isolée du Bateleur, révèle un danger: celui de l'intellectualisme stérile ou encore de la pure abstraction dans la perte de conscience des réalités. Edmond Delcamp exprime ce risque sous-jacent lorsqu'il écrit: "Si, en effet, l'homme a été enrichi de cet instrument (la raison), c'est que cet instrument doit l'aider à réaliser sa fin. Seulement il faut pour cela qu'il reste un simple instrument et ne veuille pas devenir une fin en soi (rationalisme)".
En outre, les voiles confèrent à la carte une certaine austérité. Souvent, l'observateur livre, en regardant la Papesse, des impressions d'enfermement et d'emprisonnement. C'est d'ailleurs là l'un des aspects de la lame. Elle s'articule sur les notions d'étude et de savoir. Selon que le travail intellectuel apparaît agréable ou désagréable, la perception de l'arcane II varie.
Pourtant, la Papesse illustre une étape nécessaire: celle de la formation. Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement de l'assimilation de théories intellectuelles, de l'intégration d'une culture générale ou plus spécifiques, mais également de la formation inconsciente, produit de l'éducation parentale, des modèles socio - culturels en place, de la pensée religieuse et morale de l'environnement direct. Elle définit le conditionnement psychologique et culturel que subit tout individu, tant qu'il n'a pas pris conscience de ces influences idéologiques et morales, pour, le cas échéant, s'en défaire.
En dernier lieu, la Papesse représente non pas la femme, mais une image de la femme. Elle s'oppose, dans son apparence et dans sa fonction, à l'Impératrice. Elle exprime l'inhibition des émotions à travers les vêtements et les voiles qui masquent son corps et son visage, qui recouvrent sa féminité (y compris les cheveux, associés à la séduction et à la sensualité). Son nom même, à caractère religieux, qui contribue à la désexualisation du personnage. Elle perd son identité de femme. Elle devient, dès lors, intouchable. Elle est sans corps, pour mieux affirmer les valeurs mentales et spirituelles de l'être. Dans une perspective freudienne, elle symbolise le Surmoi, instance psychique de la Conscience morale, s'opposant à la libido, source énergétique des désirs.
Après ce jeune homme plein d'entrain, nous voici en face d'une femme sans âge, aussi passive que le Bateleur semblait actif. Et puis quel nom, pour le moins peu "catholique" ! De qui s'agit- il ?
Le Mythe
La Papesse correspond à la mère nature, à la fécondation, à la terre supérieure. C'est la mémoire du monde, sorte de bibliothèque nationale aux dimensions cosmiques. Mais elle se révèle aussi castratrice car elle canalise tout le savoir intuitif en le livrant à la méditation, à la concentration. Tout comme Gaïa, mère de tout l'univers, mais castratrice d'Ouranos. C'est pourquoi le mythe de cette déesse continue à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant à cette carte, s'efforce de canaliser les forces intuitives par sa volonté et sa concentration. Il cherche aussi à maîtriser toute la mémoire du monde.
La PAPESSE et le mythe de Gaïa
Lorsque Gaïa jaillit forte et nue du chaos primordial, sa première action fut de danser. Aucune notion de direction ne bornait ses pas, il n'existait alors ni vide, ni plein, ni haut, ni bas. La seule trace qu'elle laissait était celle, légère, dorée, éclatante, de ses pieds. Elle dansa une éternité peut-être, pendant un temps sans bornes qui ne pouvait se percevoir lui- même. D'un geste, elle sortit du chaos le vent du Nord, et l'anima. Mais comme ce vent la refroidissait, elle dansa encore pour se réchauffer. Et ainsi de ses pas apparut Ouranos le grand serpent, l'espace premier. Il s'enroula autour d'elle pour lui tenir chaud, la tenant étroitement enlacée.
De leur étreinte surgit l'œuf primordial, qui donna lui-même naissance aux Titans, Géants, Cyclopes, monstres, aux hommes enfin, à tout ce qui vit et respire dans l'univers. Ouranos détesta d'emblée sa progéniture et la précipita au centre de la terre, le Tartare, en la privant de toute lumière. Mais la fertilité d'Ouranos, sans limites, s'étendait jusqu'aux confins du chaos. Gaïa prit peur, il allait déséquilibrer le monde, faire basculer l'ordre des choses à peine existant. Avec l'aide de son dernier fils, Chronos, le temps, elle délivra du Tartare les Titans, les Cyclopes, etc., qui s'élancèrent à l'assaut de leur père, secouant tout l'univers, déclenchant des cataclysmes. Pendant la bataille, Chronos saisit le sexe de son père et le sectionna. Le hurlement d'Ouranos détourna le cours des étoiles, la marche du monde. Son sang jaillit sur la terre, créant de nouveaux monstres. Les traces que la déesse avait laissées en dansant s'accrochèrent comme des étoiles sur le grand corps mutilé du dieu. Chronos prit le pouvoir et renvoya les Titans, etc., à l'intérieur de la terre, mais ceci est une autre histoire.
Ainsi, par la danse de Gaïa commença le monde, et ensuite le geste de Chronos déclencha un cataclysme cosmique dont toutes les mythologies archaïques content l'épouvante. Le monde devint un lieu clos, ordonné et limité par le ciel et la terre, où hommes et dieux allaient s'affronter, se haïr et s'adorer jusqu'à la mort. Gaïa régna en initiatrice, triomphante, le pied écrasant le serpent.
Le premier culte fut celui de la terre mère et le matriarcat, la première civilisation. Les femmes seules pouvaient donner la vie et les hommes, au début, ne firent pas la relation entre acte sexuel et procréation. Ce pouvoir fantastique, qui les rendait objets de crainte et de respect archaïques, tout laisse à penser que les femmes en abusèrent. Toutes les déesses mères des mythologies, procréatrices et castratrices par essence, donnaient la vie mais en même temps limitaient l'univers pour établir l'ordre.
Mais bientôt le rapport acte sexuel - procréation fut connu et le pouvoir bascula du côté des hommes. Resta cependant le culte de la déesse mère. Dans ces sociétés primitives d'agriculteurs et de bergers, son compagnon, la parèdre sans laquelle aucune vie n'est possible, fut d'abord un arbre, puis un berger. Elle était souvent représentée par une pierre, noire à Pessimante, au mont Ida; dans le culte archaïque des Celtes, les prêtresses arrosaient les pierres magiques consacrées. Le culte de Gaïa fut très important en Cappadoce, en Anatolie, à Mohenjo-Daro et à Harrapa. En Anatolie, elle s'appelait Cybèle.
La reine abeille à Hiérapolis en Phrygie
La pierre s'est transformée en grotte, représentation de la matrice cosmique. En effet, toute communication avec les entrailles de la terre où se tenait la déesse se passait par les bouches de la terre, les fissures, d'où s'échappaient des gaz, des vapeurs. Toute grotte dédiée à Gaïa ou à Cybèle comportait ces bouches, d'où sortaient l'enseignement de la mère, sa mémoire infinie, la représentation de l'éveil de la nature. A Hiérapolis, la grotte avait deux entrées, une au nord pour les hommes initiés au culte, les prêtres appelés Galles, l'autre pour les prêtresses. Les Galles portaient des tuniques de lin pourpre, ils étaient tous émasculés en souvenir d'Ouranos. Au sud, se trouvait l'entrée des trois prêtresses - abeilles, chargées de se ressourcer dans l'unité de la mère, créatrice inépuisable et reine de la ruche, et de redonner l'énergie ainsi recueillie. A la porte restaient les autres femmes, celles qui désiraient aller vers la divinité, en quelque sorte les novices. A l'intérieur de la grotte, on sacrifiait d'abord un bélier, puis ce fut un taureau. L'animal tombait mort, endormi par les vapeurs qui sortaient des crevasses. Les Galles ensuite se penchaient au-dessus du trou, y descendaient parfois en retenant leur souffle et lorsqu'ils remontaient pantelants, ils prophétisaient.
Dans une autre grotte, à dix kilomètres de Hiérapolis, les émanations étaient encore plus dangereuses. La grande mère y était toujours présente, invisible, grotte et pierre en même temps. A l'équinoxe de printemps, aux environs du 22 mars, une fête s'y déroulait, juste avant le lever du soleil. On y sacrifiait Attis, l'Ouranos phrygien, d'abord matérialisé sous la forme d'un pin, puis figuré par un berger, la première image du Bon Pasteur. Les Galles se rendaient en procession vers un pin solitaire personnifiant Attis; sa légende contait qu'il avait été un enfant abandonné dans un berceau d'osier sur un fleuve, recueilli par la grande mère et devenu le berger Attis, son amant cosmique. Car il n'était pas question de reproduction sexuelle dans ce culte, mais de fécondation de la nature et de connaissance révélée à l'homme. Au milieu des pleurs, des lamentations, des cris de l'entourage, l'arbre était abattu par le plus important des prêtres, puis solennellement transporté devant l'entrée de la grotte où il était dressé. On l'habillait, pour panser ses blessures, on l'emmaillotait comme un enfant et on le couronnait de branches vertes et de fleurs violettes ou mauves. Puis les Galles sacrifiaient un bélier. Alors commençaient les Hilaries ou fêtes du sang. Le grand prêtre criait : "Le Dieu est sauvé, la grande mère lui a redonné vie, comme pour lui viendra notre salut" ! Les prêtres trempaient leurs mains dans le sang et poursuivaient les assistants pour les marquer du sang de la bête, au visage, aux pieds, sur les vêtements. Tous se mettaient à danser au son d'instruments très bruyants. Dans leur extase, les futurs prêtres se mutilaient, se tailladaient le corps, se frappaient, avec la pomme de pin, emblème de Gaïa - Cybèle. Elle servait aussi, trempée dans de l'eau sacralisée par la fête, à asperger les nouveaux mystes, candidats à l'initiation. Dans des corbeilles tressées en osier se trouvaient des galettes de miel, de sésame et d'orge que les fidèles mangeaient en dansant et en tournant. Ils goûtaient aussi à des grains de grenade, attribut de la déesse mère, fruit qui relie la surface aux profondeurs des gouffres.
La déesse mère est la grande initiatrice, la guérisseuse, celle de qui tous les oracles viennent, car elle symbolise le passé, le présent et l'avenir, tout en elle est contenu. Sa mémoire inépuisable, l'inconscient collectif, elle la redonne à qui le lui demande; elle représente la fécondité spirituelle. Mais elle limite l'espace, d'où son côté castrateur et son culte sanglant. Les portes de sa caverne équilibrent le monde.
Plus tard à Éphèse, son culte devenu celui d'Artémis la lune, s'humanisa un peu. On a mis à jour dans ce lieu une statue représentant une déesse assise, couverte d'un voile, aux ailes recroquevillées, ressemblant à une abeille. La grande mère avait dans ses grottes ou ses temples, droit d'asile. Dans sa forme primitive et sanglante, le culte de la grande mère fut persécuté dès le VIIe siècle avant notre ère. Pindare parle d'un empire oublié. Quand les rites de mutilation furent interdits, les prêtres se frottèrent le sexe avec de la ciguë, ce qui empêchait toute érection.
Le culte était prohibé mais il survécut longtemps sous des formes diverses partout où le sol laissait apparaître des fissures et où se trouvaient des grottes. Damascius raconte, au Ve siècle avant notre ère, que, se trouvant avec un compagnon à Hiérapolis, ils descendirent dans la grotte alors qu'il n'y avait plus de cérémonies depuis très longtemps. Mais la crainte des émanations dites mortelles planait encore sur ce lieu. Les deux hommes ne sentirent rien, à part une oppression venue de la superstition. Mais la nuit suivante Damascius rêva qu'il était Attis, le berger divin; il assista aux Hilaries données en son honneur, mais heureusement pour lui il se réveilla juste avant la castration. Les voyageurs grecs de la route du cuivre propagèrent le culte de Gaïa - Cybèle. En Irlande, dans l'île de Déry, ces rites rencontrèrent des coutumes presque semblables, autour d'une grotte qui communiquait par des failles avec les profondeurs de la terre. Là aussi existait une déesse abeille, et un dieu arbre s'unissait à elle pour "réveiller le fond de la terre". Ce trou sanctifié plus tard par un saint qui lui donna son nom, Patrick, fut l'objet sous Henri II d'une affaire d'importance. Car bien que nommé chrétiennement, il n'en était pas pour cela devenu catholique et des fidèles s'y rendaient en pèlerinage, vers l'équinoxe de printemps, pour guérir. Les autorités religieuses et royales de Grande-Bretagne firent tout pour empêcher cette survivance païenne, soutenue dans l'île par les moines du cru. Ils firent trois fois combler le trou, et par trois fois les moines et les habitants le déblayèrent pour dégager la fissure qui communiquait avec les profondeurs. Peu à peu, cependant, l'obstination royale et religieuse eut gain de cause et les pratiques archaïques tombèrent dans l'oubli.