LE SOLEIL
Interprétation
1. Le Soleil apparaît, tout comme la Lune de l'arcane XVIII, personnifié et donc humanisé. Il est entièrement orienté de face et regarde l'observateur, manifestant une influence directe. Son centre est jaune, couleur solaire par excellence; tandis que ses multiples rayons précisent la nature et les différents degrés de cette influence cosmique. Certains sont ondulés et d'autres droits et anguleux; car l'énergie dispensée par le soleil est tantôt faible (rayons ondulés), tantôt forte (rayons droits). Leur couleur indique les multiples variations des effets de l'astre lumineux. Il agit au niveau de la nature (vert), au niveau de la matière et du corps (rouge), au niveau de l'esprit (bleu), au niveau de l'âme (jaune); tous les êtres bénéficient de son rayonnement généreux (blanc).
Leur nombre seize fait référence à la Maison - Dieu, illustrant le fameux proverbe : « Après la pluie (Maison - Dieu), le beau temps (Soleil) ». Nous reviendrons ultérieurement sur cette analogie numérique.
Cinquante-neuf traits noirs partent également de l'astre et participent à son rayonnement. Leur couleur évoque l'ambivalence de tout principe : à la fois lumineux et obscur. Le soleil comporte une dimension négative. Il réchauffe, éclaire et illumine dans son influence bénéfique mais il brûle, assèche et détruit dans son influence néfaste. Il est source de vie mais aussi de mort.
Traduisant un double aspect diurne et nocturne, le symbolisme du soleil est ambivalent. Son cycle quotidien est appréhendé comme un symbole de la vie humaine : son lever, sa progression, sa culmination dans le ciel et sa disparition sont perçus identiques aux diverses phases de la vie humaine : naissance, croissance, déclin, mort.
Par réduction théosophique, cinquante-neuf devient quatorze (5 + 9 = 14) et évoque la qualité de la relation qui unit les deux enfants du bas. Le soleil est perçu comme conciliateur et unificateur. Son influence est généreuse mais tempérée par l'effet du quatorze (se reporter à Tempérance).
2. Les gouttes s'opposent, dans leur orientation, à celles représentées dans la lame précédente, la Lune. Elles ne sont pas aspirées pas l'astre, mais au contraire, elles sont émises par son rayonnement. Elles manifestent concrètement son énergie se répandant librement sur terre et fécondant toute chose. Le soleil est indispensable à la vie. Il pourvoit au développement des êtres et des choses. Les gouttes sont au nombre de treize et font ainsi référence à l'Arcane sans nom. De même que pour les seize rayons, le Soleil contient, dans sa symbolique, deux lames (l'Arcane XIII et la Maison - Dieu) aux significations dures et douloureuses. Car, les valeurs les plus positives comportent, dans leurs couches profondes, une part de négativité. Encore une fois, le Tarot réaffirme la loi du yin et du yang et de leur équilibre constant et nécessaire.
Le placement des gouttes est intéressant. Elles sont réparties comme suit : six de chaque côté et une au centre. Cette construction présente le treize sous son aspect positif de centrage des énergies. Le douze se trouve unifié à travers le un, point central (le Pendu présentait l'homme au centre mais divisé).
3. Le Soleil nous propose un symbole majeur dans la présence des jumeaux. Le couple gémellaire possède une valeur archétypale. Il évoque le lien filial dans son principe identificatoire. Le deux se rapproche alors intimement du un, dans la présence de deux êtres à la même image. Cette communauté physique suppose, sur un mode symbolique, une communauté spirituelle. Les jumeaux sont placés dans l'ordre de l'identique, de l'inséparable et de l'union parfaite et positive. De nombreuses traditions, d'ailleurs, s'originent sur un couple de jumeaux ou de frères. De Romulus et Rémus à Caïn et Abel, en passant par Castor et Pollux, les références à la conception gémellaire ne manquent pas. Les jumeaux illustrent par excellence le principe binaire, constituant tout être comme toute chose. De plus, et comment ne pas y voir une heureuse correspondance à l'arcane XVIIII, à ce dualisme des jumeaux mythiques s'applique la course ascendante (évolution) et descendante (involution) du soleil.
Les jumeaux de l'arcane XVIIII entrent en contact l'un avec l'autre. Cet échange charnel illustre une communication affective. Le sentiment exprimé dans cette relation physique est de l'ordre de l'amour le plus pur. Non pas celui qui unit l'homme et la femme, mais celui qui unit l'Homme à son Frère (ces deux termes figurant une allégorie) : c'est-à-dire l'Amour de l'humanité ou la Fraternité. C'est d'ailleurs le seul arcane qui soit construit sur la représentation d'enfants. L'enfance correspond, dans les consciences, à la pureté et à l'innocence. Jésus, à travers de nombreuses paraboles, a exprimé l'importance de redevenir (ou de rester) enfant pour accueillir la parole divine. Les anges ont également des traits d'enfants pour marquer leur pureté, leur réceptivité et leur ouverture totale.
4. Leurs cheveux couleur chair prouvent justement que l'amour universel, tel qu'il se trouve incarné dans la lame, est inhérent à la nature humaine. L'homme est doué d'amour; il possède la capacité d'aimer pleinement ses amis comme ses ennemis, qui perdent d'ailleurs, du même coup, leur réalité. Toutes les traditions religieuses font de l'amour pour son prochain le pilier principal de leur doctrine. Ce n'est pas là uniquement le fait de Dieu.
La corde, commune aux arcanes du Pendu et du Diable, ne les attache pas et ne prend donc plus valeur de lien enfermant et emprisonnant mais au contraire de libération et de délivrance. Ils ne sont pas réellement attachés l'un à l'autre, ils le sont virtuellement. Ils sont libres et c'est ici l'une des significations de la lame.
5. On retrouve une construction humaine dans la présence du muret, devant lequel sont placés les deux enfants. Il contraste cependant très nettement avec la tour de la Maison - Dieu de par sa couleur et sa taille. Si la tour représentait les constructions présomptueuses et vouées à la destruction de l'être humain, le mur indique, au contraire, la reconnaissance de ses limites et, de ce fait, la création solide et positive. L'homme a pris conscience de ses véritables capacités et ainsi, il agit avec mesure et équilibre. Il n'est plus dans les vaines ambitions, source de douleurs, mais dans l'apprentissage du contentement.
La nécessité de se libérer de la vanité pour évoluer spirituellement est suggérée à maintes reprises dans la Bhagavad-Gîta : « Abandonnant tout attachement au fruit de l'acte, éternellement satisfait, ne cherchant nul appui extérieur, il a beau s'engager dans l'action, il ne fait absolument rien. » et encore plus loin « Satisfait de ce qu'il reçoit par hasard, ayant surmonté les couples des contraires, exempt d'égoïsme, toujours le même dans le succès comme dans l'insuccès, il a beau agir, il n'est pas lié ». La couleur jaune du mur, en participant à augmenter la dimension solaire de la lame, désigne la part d'intelligence supérieure qui entre dans la création humaine. Bien que moins haut que la tour, le mur témoigne d'une plus grande réalisation. Ce qui importe n'est pas la hauteur ou l'élévation apparente mais la qualité de l'ouvrage. Tout est noble et tout peut permettre le développement et l'évolution. Seule l'intention et l'essence comptent, le reste n'est qu'illusions et artifices trompeurs. De plus, son sommet rouge lui confère dynamisme et en fait une substance vivante et animée. Il n'est pas seulement un objet, il a véritablement une âme, l'âme qui justement manquait à la tour de la Maison - Dieu.
Dans la lame, le jaune se trouve en haut (au niveau du soleil) et en bas (au niveau du mur et du sol), ce qui s'exprime par le célèbre : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ». Connaître les lois cosmiques, ce n'est pas les chercher dans les cieux inaccessibles mais c'est prendre conscience qu'elles s'exercent à tous les niveaux, mêmes les plus inférieurs.
Dans une autre interprétation, le mur peut constituer une limite, dans sa manière de couper la lame horizontalement. Il présage ainsi de l'impermanence du soleil et plus spécifiquement de l'état de jouissance et de bien-être qu'il représente. Qu'est-ce qu'il y a au-delà du mur ?
Le muret canalise les effets du soleil dans l'espace : il ne brille pas partout. De même que sur un plan physique ses effets sont limités dans le temps : il ne brille pas tout le temps (se reporter à l'étude du nom). Ceci augure de la véritable nature de la lame. Elle ne représente pas l'aboutissement final ou la réalisation totale de l'être mais simplement un passage agréable, un temps de jouissance.
Le Nom
C'est : « Le Soleil »
Définition du Larousse : « Astre lumineux // astre considéré comme centre d'un système planétaire ».
Le soleil incarne l'astre sacré par excellence. Il répond au symbolisme lunaire en s'y opposant. Ils constituent ainsi l'un et l'autre des éléments complémentaires régissant des mondes différents. Innombrables sont les cultes voués au soleil. Il fut de tout temps objet de vénération et d'adoration. Première divinité de nombreuses traditions polythéistes, le soleil représente le principe de vie, de reproduction et de croissance. L'Hymne à Aton nous en offre un remarquable témoignage. En voici un extrait :
Lorsque tu te lèves sous ta forme de disque vivant, resplendissant et rayonnant, distant et proche,
Tu crées une infinité de formes de toi, l'unique, villes, villages, routes et fleuves.
Tous les yeux te contemplent devant eux, aussi longtemps que tu es le disque du jour au-dessus de la terre.
Lorsque tu es parti, tout œil, dont tu as créé la vue, ne te verra plus
Ni rien de ce que tu as créé.
Mais toujours tu es dans mon cœur.
Il n'y en a pas d'autre qui te connaisse en dehors de ton fils Neferkheprou-Ré
L'unique de Rê.
D'autre part, le soleil est impermanent. Il respecte un rythme régulier de présence et d'absence. La dix-neuvième lame nous le montre brillant de mille éclats et dispensant sur terre et sur les deux jumeaux sa lumière et sa chaleur bienfaitrice. De là, on en conclut que l'arcane signifie le bien-être. De même l'expression : « se faire une place au soleil ». C'est pourquoi, le soleil, entendu l'arcane XVIIII, est synonyme de satisfaction, de contentement, de joie. Elle repose sur des valeurs positives. Cependant, l'état de bien-être est lié au soleil, plus précisément à l'action de l'astre lumineux. S'il disparaît, il supprime ses effets bienfaisants.
En cela, le dix-neuvième arcane n'est qu'une lame de passage. La satisfaction ne peut être éternelle tant qu'elle est due à des facteurs extérieurs, tel que le soleil.
Sens initiatique
Le Soleil constitue un arcane gratifiant. Si certains arcanes représentent des épreuves, des passages obligés et difficiles, il est naturel que d'autres récompensent, correspondant à la récolte positive. Le dix-neuvième arcane désigne un moment privilégié de l'existence humaine. Il décrit un état de lumière, de joie et de communion avec l'extérieur.
Il indique en outre l'attitude psychologique à adopter afin de connaître des émotions positives. La référence aux enfants intervient comme modèle du comportement créateur de joie et de satisfaction. Il s'agit de retrouver la simplicité qui permet de se réjouir de chaque chose. C'est en réduisant ses exigences (construction plus basse) que l'homme parvient au bonheur. Plus il est attaché et lié à la vanité, à l'ambition, à l'envie, plus il souffre car il ne connaît jamais de repos. Plus il sait s'abandonner, découvrir l'aspect merveilleux et magique de chaque instant, et plus il rayonne, tel le Soleil.
Les enfants bénéficient de cet émerveillement permanent. On leur prête comme qualité, outre l'innocence et la pureté, le rire et la gaieté. Car l'enfant aime la vie, il sait l'apprécier, il ne se laisse pas affliger durablement et il révèle une formidable résistance. Il donne le sentiment d'oublier vite les désagréments de la vie quotidienne, substituant à un désir non satisfait un autre désir accessible. Il place alors instantanément son énergie dans un autre pôle d'intérêt.
Certes, l'adulte est confronté plus durement à la réalité. Les responsabilités qui lui incombent, les problèmes matériels ou affectifs qui se posent avec plus d'acuité, peuvent expliquer en partie la réduction de la propension à être gai et joyeux. Mais, les difficultés de la vie et le poids de la réalité ne sont pas seuls responsables. Sont en cause également, et principalement, la transformation négative et pernicieuse de la nature humaine, qui pousse à vouloir posséder toujours plus, à vouloir être toujours supérieur. Aussi, l'individu, avec le temps, perd sa qualité de vie car il n'est pas dans l'ici et maintenant mais dans l'ailleurs et l'inaccessible. Les complications psychiques entravent les possibilités de jouissance. Savoir se contenter, sans se soumettre ou se résigner, est encore l'une des tâches spirituelles de l'homme.
Cependant, si le Soleil correspond à la joie, il n'illustre pas la réalisation intérieure pour autant, à cause de son impermanence. L'émotion soulevée ici est franche mais fragile. L'enfant, s'il est gai, est également vite sujet à la colère ou à la tristesse. Il passe aisément du rire aux larmes, et inversement. Aussi, il ne manifeste pas un état intérieur linéaire et constant mais plutôt une succession de joies et de peines généralement vite consolées. De même l'astre apparaît et disparaît, ses effets sont donc discontinus et soumis à variation. C'est pourquoi, le Soleil constitue, dans le cadre d'une existence ordinaire, dépourvue de spiritualité, la meilleure condition à laquelle l'individu puisse accéder. C'est le fait d'être heureux en fonction de quelque chose; c'est le bonheur affectif, l'enthousiasme professionnel, le bien-être financier, l'harmonie familiale. En quelque sorte, il s'agit d'un bonheur sous condition.
C'est la raison pour laquelle, l'arcane XVIIII renvoie discrètement aux arcanes XVI et XIII (Maison - Dieu et Arcane sans nom), à cause des seize rayons solaires et des treize gouttes, car sous cette félicité apparente couve la douleur, en tout cas l'évolution et donc la transformation. Le bonheur du Soleil ne peut être définitif car il prend sa source dans des événements ou des situations extérieures, nécessairement limitées dans le temps. Le véritable bonheur (qui n'est pas celui du Soleil mais du Monde) serait d'être heureux tout le temps et quelle que soit la réalité.
Sens psychologique
D'un point de vue psychologique, le Soleil, à travers les jumeaux, évoque la relation symbiotique et identificatoire. Il participe en cela à un des plus importants fantasmes : être comme l'autre, ne faire qu'un. C'est la raison pour laquelle l'arcane XVIIII est souvent, sur un mode projectif, assimilé au couple, à l'harmonie la plus totale, à l'amour. Plus que l'Amoureux encore, le Soleil figure pour l'observateur le couple, car il oppose au ternaire de l'arcane VI, la dyade unifiée. D'autre part, il propose deux êtres identiques et l'amour se nourrit de cette volonté d'être à la ressemblance de l'autre ou inversement. L'osmose est le plus grand désir de l'homme et celui qui lui procure le plus de bonheur.
Cependant, là encore, ce bonheur est illusoire car les différences ne sont jamais bannies, même sous la contrainte; elles demeurent. D'ailleurs, dans une perspective philosophique, l'unité ne peut s'établir que dans le maintien de la différence et non pas dans son anéantissement qui, de toute façon, ne peut qu'être illusoire.
Le Mythe
Cet arcane symbolise la nécessaire adaptation au social et rassemble en lui toutes les énergies solaires, corporelles et sexuelles. La religion de Mithra fut le premier essai de culte fondé sur le social, la vie communautaire. C'est pourquoi le mythe de Mithra continue à vivre dans cet arcane du tarot.
Le Bateleur, en arrivant au soleil, doit, pour poursuivre son évolution, maîtriser le "taureau", symbole présent mais caché de cette lame. Il lui faut le tuer symboliquement.
Le Soleil et le mythe de Mithra
Du panthéon horriblement compliqué de l'Iran en 1400 avant notre ère, de cet "abominable fatras", selon Voltaire, où les dieux étaient multiples et où l'obsession de la pureté donnait lieu à un nombre impressionnant de tabous : eau, feu, souillures diverses, naquit pourtant la première religion universaliste qui promettait le salut à tous les hommes, de toutes conditions sociales, de tous sexes, de toutes provenances.
La religion chrétienne ensuite fera son profit de ce dieu solaire, Mithra, annoncé depuis mille ans. Une seule chose le sépare de Jésus : Mithra est une entité, jamais sa venue au monde n'est dite humaine. Sinon, comme Jésus, il naît dans une grotte, d'une vierge, il est réchauffé par un bœuf et un âne. Il reçoit la visite des trois prêtres mages qui lui apportent les mêmes cadeaux. Mais, adulte le premier jour, il met à mort le taureau sauvage pour s'emparer de la lumière solaire qui émane de cet animal; son épée porte, avant la pointe, un demi-cercle lunaire. De ce fait, il devient un dieu médiateur, unissant en lui les deux symboles. La religion de Mithra fut apportée en Occident par des pirates asiatiques et phrygiens, selon Plutarque. Elle conservait les problèmes dus à la souillure; elle demandait le respect des éléments, la propreté du corps allant avec celle de l'esprit et de la nature. De plus, le mithraïsme essayait de concilier métaphysique et science, ce que recherchent encore certaines sociétés secrètes, comme diverses organisations rosicruciennes.
Les adeptes de la religion de Mithra vivaient en communauté et partageaient tous leurs biens. Le corps, véhicule de l'âme, n'avait qu'une importance relative et la terre était considérée comme un lieu d'exil. La propriété n'était donc pas entourée de prestige et le pouvoir paraissait un fardeau.
L'enfant, dès sa naissance, était trempé dans l'eau, puis on pressait sur sa bouche un peu de suc d'un arbuste appelé Hom. Un astrologue regardait la position des astres à l'heure de sa venue au monde, et selon la place des planètes, attribuait un nom à l'enfant. A sept ans, mâle ou femelle, il devait porter une ceinture de chasteté, en signe de purification. A quinze ans, il revêtait une tunique blanche, faite de coton ou de laine, le lin étant réservé aux cérémonies de sacrifices. A trente-trois ans, il choisissait d'aborder l'initiation finale pour devenir prêtre instructeur ou de demeurer dans la société. Sa décision était libre de toute entrave et était ensuite parfaitement respectée.
Il existait douze degrés initiatiques, ouverts à tous, sans distinction de sexe ou de rang social. Les mystes devaient dispenser le savoir connu du monde et l'égalité entre eux, en dehors des cérémonies, était totale, le néophyte étant traité de la même façon que le plus grand initié dans la communauté.
Le premier grade, celui de soldat, symbolisé par une marque de cendres sur le front et la présentation au bout d'une épée d'une couronne de feuillages, correspondait à la lutte intelligente contre les forces sombres. L'arme représentait celle qui devait combattre le taureau. Le deuxième grade, celui du taureau, symbolisé par la remise de l'épée par un homme et la pose de la couronne sur la tête par une femme, correspondait à la recherche de la vérité par la lutte et la raison. Le troisième grade, celui du lion, symbolisé par le dressage figuré de cet animal par le myste avec un fouet, correspondait à la purification, la lutte contre les instincts.
Les grades quatrième, cinquième et sixième correspondaient à l'instruction astrologique et aux études intellectuelles.
Les grades septième, huitième et neuvième, grades solaires, correspondaient à la transmission des secrets théologiques et ésotériques. A ce niveau, le candidat à l'initiation arrivait à son âge de trente-trois ans. Il pouvait alors choisir de s'arrêter ou de continuer. Dans le deuxième cas, il devait affronter le taureau, le tuer, manger sa chair et boire son sang. Plus tard, au temps de la grandeur de la religion de Mithra, ce rite sanglant fut remplacé par un repas symbolique de pains ronds, marqués d'une croix de cendres : le pain représentait le corps, la terre; les cendres l'élément pur, le feu, le sang.
Le jour sanctifié du taureau était le dimanche, les équinoxes jours fériés; à leur mort, les fidèles recevaient un viatique qui les préparait au grand voyage.
Cette religion, aux enseignements gradués pour permettre une assimilation plus facile, avait pour les autres cultes une tolérance extrême et faisait peu de prosélytisme. Cependant, elle se répandit très vite et devint populaire. Dans la lutte qui l'opposa à la religion chrétienne, vers les années soixante-dix de notre ère, son enseignement, devenu très intellectuel, lui fit le plus grand tort. Il éloignait d'elle les esclaves, les pauvres et les femmes, qui se rapprochèrent du rite chrétien. Leur calcul fut-il bon ? Vu la suite, on peut en douter : les esclaves et les pauvres n'y gagnèrent pas de changement de condition de vie, et les femmes y perdirent leur âme, jusqu'au Concile de Nicée qui les différencia enfin des animaux.
Les chrétiens firent de nombreux emprunts à la religion de Mithra et à ses symboles; le plus important fut celui de la messe, rite alchimique, résumé d'une route initiatique dont bien des significations se sont perdues en chemin.
Le combat de la lune et du soleil.
Les vases, les amphores, les fresques crétoises nous montrent comment, il y a plus de deux mille ans, les jeunes gens combattaient, en dansant, en les esquivant ou en luttant au corps à corps avec les taureaux sauvages. Le culte de cet animal en Crète est certainement fort ancien; en Thrace, sensiblement à la même époque, il existait également des combats entre hommes et taureaux; dans ce pays, les jeunes gens étaient montés sur des chevaux. Lorsque leurs montures étaient blessées, les cavaliers mettaient pied à terre et luttaient au corps à corps. Les hommes épuisaient la bête en la blessant et en lui faisant perdre du sang. Cela leur permettait d'être à égalité de force avec l'animal sauvage au moment de la mise à mort. L'épée devait alors frapper le taureau entre les deux yeux. Ce rite, sans nul doute possible l'ancêtre de notre corrida, symbolisait la lutte entre l'astre des nuits et celui des jours, l'homme qui livrait bataille contre le dieu primordial pour s'emparer de sa puissance, rite qui se rapproche de ceux de la religion de Mithra. Depuis la nuit des temps, l'immortalité était attribuée au taureau; en le tuant, l'être humain s'emparait de ce pouvoir, devenait immortel.
Il existait aussi en Thrace des combats de fauves, taureaux contre lions ou tigres, et pendant longtemps les taureaux qui allaient se battre portèrent les noms de Mithra ou d'Attis. En Espagne wisigothe, au Ve siècle de notre ère, et jusqu'au VIIIe siècle, les rois et le peuple raffolaient de ce genre de spectacles. La Gaule romaine connut également cet engouement. Arles fut un lieu où ce rituel se déroula.
Survivances populaires.
Les combats de fauves et le toro de fuego : Le dernier combat de fauves eut lieu en 1904 à San Sebastian, lutte à mort entre un lion et un taureau. En 1848 à Madrid, une corrida mit aux prises un tigre du Bengale et un taureau; ce dernier gagna. Le 15 août 1848, un taureau mit à mort un lion et un tigre; le nom de cet animal est resté dans l'histoire : Caramelo. Mais dans ces luttes sanglantes qui déclenchaient parfois des scènes d'hystérie, toute symbolique était absente, ce n'était plus que défoulement et sauvagerie.
Une survivance folklorique des rites de combat contre le taureau existe encore au Pays Basque, cela se passe les 15, 16, 17 août à Biarritz. C'est le toro de fuego. Deux hommes sont cachés dans une carcasse figurant le taureau, bourrée de pétards et de feux de Bengale. Le premier, le conducteur, fonce sur la foule présente avec ses grandes cornes pendant que le second allume les pétards et les feux de Bengale et les jette autour de lui. Cela a lieu la nuit. La foule rit, évite le taureau en poussant de grands cris. Une douzaine de toros de fuego sont ainsi lâchés dans la ville et courent en tous sens dans les rues et sur les places; cela forme un spectacle fabuleux. Seulement souvent la fête dégénère et devient brutale.